Epigraph Vol. 23 Issue 3, Fall 2021
Médicaments anti-crises pour l'épilepsie nouvellement diagnostiquée: lequel choisir ?
Par Nancy Volkers, responsable des communications de'la Ligue internationale contre l’épilepsie (ILAE)
Traduit par Chahnez Triki, Dang Nguyen, François Dubeau
Le choix d’un médicament pour le traitement d’une épilepsie d'apparition récente peut devenir, en l’absence de lignes directrices, aléatoire. La seconde étude SANAD (Standard And New Anti-epileptic Drugs Study – SANAD II), un essai ouvert de phase IV, a comparé l’efficacité et les effets indésirables des médicaments anti-crises épileptiques (MACE) standards et de nouvelle génération dans les épilepsies focales et généralisées ou non classées.
Les résultats, publiés en avril 2021, ont montré que les personnes atteintes d'épilepsie focale prenant de la lamotrigine réalisaient plus rapidement une rémission de 12 mois que celles prenant du lévétiracétam ou du zonisamide. Chez les personnes atteintes d'épilepsies généralisées ou non classées, le valproate s'est avéré plus efficace que le lévétiracétam.
Dans l’étude SANAD II, et comme pour SANAD I, l’essai a été randomisé mais pas en aveugle.
« Les essais SANAD sont des essais pragmatiques qui tentent d’éclairer la prise de décision clinique quotidienne, » a déclaré Tony Marson, professeur de neurologie à l'Université de Liverpool et premier auteur d’un article récent publié dans The Lancet en avril 2021.
Épilepsies généralisées
SANAD II est le premier essai randomisé à comparer le lévétiracétam et le valproate pour le traitement des épilepsies généralisées (ou non classées) nouvellement diagnostiquées. La publication est disponible en libre accès.
Jusqu’à cette étude, le valproate était recommandé comme traitement de première intention dans les épilepsies généralisées, le niveau d’évidence scientifique étant toutefois faible. Les résultats de SANAD I avaient montré que le valproate était plus efficace que le topiramate, alors que dans d'autres études les résultats avaient été mitigés.
SANAD II a montré que le lévétiracétam était inférieur au valproate dans:
- Le délai pour atteindre 12 mois de rémission (résultat primaire)
- Le délai avant l’échec du traitement
- La rémission de deux ans
- Une première récidive de crise
- Le Coût-bénéfice
« Nous savions tous que le lévétiracétam était moins efficace que le valproate », a déclaré Tony Marson, « mais sans aucune preuve concluante à cet effet, et il était donc très important de pouvoir le confirmer. »
Sur un suivi de deux ans, il y avait une différence globale de 15 % (IC à 95 % : 6 % à 23 %) dans le taux d'échec du traitement pour le lévétiracétam par rapport au valproate, expliqué soit par les effets indésirables ou par un manque de contrôle des crises. Le valproate a eu un taux d'échec au traitement plus faible, et les deux médicaments des taux d'échec similaires si on considère la survenue d'effets indésirables.
Les mesures de la qualité de vie (QoL) n'ont pas montré de différences entre les deux médicaments, le taux de réponse des participants ayant été toutefois « notablement faible. »
Les épilepsies généralisées : Analyse des sous-groupes
L’analyse des sous-groupes a montré que le délai pour atteindre une rémission de 12 mois était similaire pour les deux médicaments, chez les personnes avec épilepsies de type absence ou non classées.
Les absences ont tendance à se produire fréquemment, et les personnes ayant ce type de crise n'ont pas été nécessairement désavantagées lorsque traitées d’emblée avec le lévétiracétam, a noté Tony Marson.
« Que vous commenciez par le valproate ou le lévétiracétam, vous savez très rapidement si le médicament fonctionne ou non, et vous pouvez donc, si nécessaire, prescrire un autre traitement. »
Dans le cas des autres types d’épilepsie généralisée, le valproate avait un avantage sur le lévétiracétam.
« Chez ces patients qui ont des crises tonico-cloniques, et relativement peu fréquentes dès le départ, il faudra plus de temps pour comprendre que le traitement n’est pas efficace », a déclaré Marson. « Et, il faudra donc ensuite plus de temps pour trouver un traitement utile ».
Recommandations
Les auteurs de l'étude recommandent le valproate pour les hommes avec épilepsie généralisée et ajoutent que l'éthosuximide est une alternative appropriée dans le seul cas des épilepsies de type absence.
Le valproate peut nuire au fœtus, et les auteurs encouragent « un débat plus approfondi afin d’éclairer les cliniciens sur ce sujet et proposer des lignes directrices pour minimiser les risques d’effets indésirables lors de futures grossesses ».
Préoccupations concernant le valproate
En mars 2018, un organisme de règlementation représentant les états membres de l'Union Européenne (UE), l'Islande, le Liechtenstein et la Norvège a approuvé de nouvelles mesures pour éviter l'exposition du fœtus au valproate : Le valproate et ses dérivés ont été proscrits pour le traitement de la migraine et des troubles bipolaires et ils l’ont également été dans le traitement de l'épilepsie « à moins qu'il n'y ait pas un autre traitement efficace disponible ».
L’agence européenne des médicaments a en février 2018 proposé que toute femme en âge de procréer doit suivre avant de prendre du valproate un programme de prévention de la grossesse qui assure qu'elle soit pleinement consciente des risques.
Les résultats de SANAD II compliquent chez les femmes la prise de décision : « Les femmes en âge de procréer sont désavantagées ne pouvant se faire prescrire le médicament le plus efficace, le valproate, pour contrôler leurs crises », a déclaré Tony Marson, « considérant toutefois le fait que le lévétiracétam est un traitement plus sûr lors d’une grossesse. »
Une décision thérapeutique difficile
« Vous ne traitez pas les jeunes femmes avec du valproate », a déclaré Martin Brodie, directeur de l'unité d'épilepsie du Glasgow’s Western Infirmary, qui n'était pas impliqué dans SANAD II. « Oui, l'étude a bien montré que le valproate était meilleur que le lévétiracétam, mais de peu et on ne devrait pas traiter les femmes avec un médicament qui pourrait causer des dommages à leur bébé. »
« Mon expérience dans la pratique clinique est que la plupart des femmes choisissent une alternative au valproate », a ajouté Tony Marson. « Un défi survient toutefois: que faire si cela échouait? Et cela reste une question difficile. »
En 2018, Marson et collègues ont publié une étude utilisant la méthode d’expérimentation dite des Choix Discrets, un modèle économique conçu pour clarifier les préférences des gens en tenant compte de certains avantages et risques. L'étude a révélé que les femmes accepteraient une réduction de 5 % des chances de se libérer de crises épileptiques si cela signifiait une réduction de 1 % des risques de malformation fœtale.
Ces résultats montrent que d’autres options thérapeutiques sont nécessaires pour les épilepsies généralisées ou non classées, et ainsi minimiser les décisions difficiles et éviter les scénarios défavorables. Par exemple, celui d’une jeune femme exempte de crises avec une dose modeste de valproate, qui a cessé de le prendre lorsqu'elle a pris connaissance des risques fœtaux, et les autres médicaments s’étant avérés inefficaces. « Personne n'a pu lui faire reprendre du valproate, » a déclaré le professeur Brodie. « Elle avait 22 ans quand elle est décédée de mort subite et inattendue (MSIE). »
Les épilepsies focales
Les participants de SANAD II avec épilepsie focale ont été randomisés avec zonisamide, lamotrigine ou lévétiracétam. Le critère d'évaluation primaire était le délai pour atteindre 12 mois de rémission ou : la durée de temps pendant laquelle une personne a pris le médicament avant de ne plus avoir de crises pendant 12 mois consécutifs?
La lamotrigine a été la plus efficace avec le délai le plus court pour atteindre 12 mois de rémission et avec significativement moins d'effets indésirables (33 %, contre 44 % pour lévétiracétam et 45 % pour zonisamide). La lamotrigine s'est aussi avérée la plus rentable. La publication est disponible en libre accès.
Les projecteurs sur la lamotrigine
« Les résultats de SANAD II m'ont légèrement surpris, et en particulier le fait que le lévétiracétam n’ait pas été le « gagnant », » a déclaré Marian Galovic, chef de l'unité d'épilepsie à l'hôpital universitaire de Zurich, qui n'était pas impliqué dans les études. « Beaucoup de mes collègues neurologues qui ne sont pas des experts en épilepsie le considère comme un médicament de choix car il est facile à utiliser, il n'a pas d'interactions compliquées et le dosage est simple. »
« À mon avis, l'impact de l'étude a été de renforcer la valeur de la lamotrigine, qui n'est peut-être pas aussi bien reconnue », a pour sa part déclaré Emilio Perucca, professeur au département de neurosciences de l'Université Monash, Melbourne, Australie. « La lamotrigine est un médicament précieux, principalement en raison de son profil de tolérance. »
La titration progressive requise pour démarrer la lamotrigine a été un problème pour de nombreux prescripteurs.
« Les neurologues généralistes de notre hôpital prescrivent principalement du lévétiracétam aux personnes épileptiques », a ajouté Marian Galovic. « Probablement parce qu'ils y sont habitués et qu'ils veulent agir rapidement. Ainsi, au service des urgences, ils utilisent le lévétiracétam parce qu'ils veulent obtenir des résultats immédiats. Pourtant, SANAD II n’a pas montré que la période de titration pour la lamotrigine ait eu des conséquences fâcheuses.
La facilité d'utilisation du lévétiracétam améliore probablement son efficacité, a déclaré Martin Brodie. « Un médicament facile à utiliser, comme le lévétiracétam, apparait préférable [dans les données] qu'un médicament comme la phénytoïne, qu'il faut savoir utiliser ». « Et si vous ne savez pas comment utiliser un médicament, vous n'obtenez pas de bons résultats. »
Un problème d’effets indésirables
Le lévétiracétam est fréquemment prescrit dans le traitement de première intention de l'épilepsie focale malgré le fait qu’il peut avoir des effets comportementaux et psychiatriques indésirables. Ces effets n'avaient pas été identifiés dans les premières études; SANAD II a cependant montré une mesure de la QoL nettement inférieure chez les personnes prenant du lévétiracétam pour l'épilepsie focale.
« Lorsque vous cherchez des avantages, vous savez ce que vous allez mesurer, mais si vous cherchez des inconvénients et uniquement les effets indésirables traditionnels, vous pourriez manquer des choses, » a souligné Tony Marson. « Nous n'avions initialement pas recherché les effets indésirables psychiatriques [avec le lévétiracétam] et nous n’avions donc pu mesurer leur impact sur la qualité de vie des gens. »
Dans ces études, l'évaluation de la qualité de vie a été importante, selon Marian Galovic. « Nous voulons que nos patients n'aient plus de crises, mais nous voulons aussi leur donner un médicament qu'ils peuvent bien tolérer. » « Je ne veux pas leur donner un médicament qui les libère des crises mais aggrave leur qualité de vie. »
Le choix d'un MACE ne repose pas que sur des données, a pour sa part déclaré Martin Brodie. « Nous traitons le patient, pas l'épilepsie, » et « ce n'est pas parce qu'un médicament fait mieux qu'un autre que vous ne devez jamais utiliser cet autre médicament. »
Pays à faibles ressources
La lamotrigine et le lévétiracétam étant tous deux disponibles sous la forme générique, les résultats de SANAD II ont-ils des implications majeures pour les pays à plus faibles ressources?
« En Zambie, les médicaments accessibles au public sont limités habituellement à la carbamazépine et au phénobarbital, » a déclaré Melody Asukile, neurologue au ministère zambien de la Santé. « Pour les patients qui peuvent se le permettre, nous pouvons aussi recommander le lévétiracétam, qui est relativement plus abordable que d'autres médicaments. »
« Nous sommes confrontés à des défis majeurs en ce qui concerne l'accès aux MACEs, » a déclaré Naluca Mwendaweli, médecin à l'hôpital universitaire de Lusaka. « La lamotrigine est un médicament disponible mais il faut aussi pouvoir se le procurer, le coût étant hors de portée pour la majorité des gens. »
« Le Pakistan dispose du valproate et du lévétiracétam (en princeps ou générique) et de la lacosamide et du zonisamide génériques, » a déclaré Zarine Mogal, neurologue consultante au centre national d'épilepsie de Karachi. « En général, la carbamazépine est préférée comme traitement de première intention pour les épilepsies focales, suivie du lévétiracétam et du valproate. »
« Au Vietnam, la lamotrigine et le lévétiracétam sont disponibles et font partie du système national d'assurance contre l'épilepsie, » a déclaré Minh-An Thuy Le, neurologue et membre du corps professoral de l'université de médecine et de pharmacie de Ho Chi Minh-Ville. Cependant, elle a déclaré que le lévétiracétam est plus largement distribué et plus facile à obtenir que la lamotrigine.
Pourquoi SANAD
SANAD I, publiée en 2007, a révélé que le valproate était plus efficace que la lamotrigine ou le topiramate pour les crises généralisées, et que la lamotrigine était une alternative à la carbamazépine et à bon coût-bénéfice.
Les études SANAD testent des médicaments déjà approuvés en monothérapie. Les patients sont randomisés à un médicament, mais le patient et le médecin savent quel médicament est administré (randomisation qui n’est pas en aveugle).
« Lorsqu'un clinicien n'est pas en aveugle, les décisions cliniques sont influencées par la connaissance du médicament que vous administrez et cela peut fausser les résultats, » a déclaré le professeur Perucca. « Par exemple, si je vois une éruption cutanée mineure chez un patient et que je sais qu’il prend de la lamotrigine, je serai porté à interrompre le traitement. Mais si je sais qu’il prend du lévétiracétam, je pourrais être enclin à attendre, voir si cela va disparaître, ou l'attribuer à une autre cause. »
Tony Marson reconnaît que les essais cliniques contrôlés ne devraient jamais être faits en non aveugle. « Mais si vous voulez répondre à la question : Ce traitement fonctionne-t-il dans le monde réel et comment le comparer aux autres traitements ? » Vous devez faire des compromis dans la conception de votre étude ». « Vous y perdez une certaine validité interne (un indicateur de qualité) mais pour améliorer la validité externe (qui identifie l’exactitude des résultats). »
Marson ajoute que dans SANAD II, environ la moitié des participants ont cessé de prendre leur médicament initial et en ont reçu un autre. « Si vous voulez prendre une décision sur ce qu'il faut faire dans ces cas, vous devez savoir ce qui leur a été administré en tout premier lieu. » « Et si vous faites un essai en aveugle impliquant par exemple du valproate, vous ne pourrez pas recruter la plupart des femmes en âge de procréer car elles auront besoin de savoir ce qu'elles prennent pour prendre des décisions concernant la contraception. Dès que vous menez un essai comme celui-ci en aveugle, vous risquez de concevoir une étude qui n'informe ni ne reflète la pratique clinique. »
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