Epigraph Vol. 25 Issue 4, Fall 2023

Rapprocher les soins pour l’épilepsie du domicile peut améliorer leur efficacité

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Par Nancy Volkers, responsable de communication de l’ILAE

Traduit par le Collège de traducteurs français


Cite this article: Volkers N, Auvin S. Rapprocher les soins pour l’épilepsie du domicile peut améliorer leur efficacité. Epigraph 2023; 25(4): 51-55.


L’accès aux soins est un problème pour les personnes atteintes d’épilepsie dans le monde entier. Rapprocher les soins du domicile peut aider, mais qu’en est-il de réaliser les soins à domicile ?

Le premier défaut de traitement concerne les personnes atteintes d’épilepsie qui ne reçoivent pas de traitement. Il existe également un autre groupe de patients : ceux qui sont diagnostiqués mais qui cessent de prendre leurs médicaments, ce qui crée un deuxième type de défaut de traitement de l’épilepsie. De nombreuses raisons expliquent ces problèmes avec le traitement, notamment les effets indésirables des médicaments antiépileptiques, le coût des médicaments, l’accès aux médicaments, ainsi que le manque de compréhension des personnes atteintes d’épilepsie sur le fonctionnement des médicaments et l’importance de les prendre conformément à la prescription.

En rapprochant les soins du domicile des patients, il est possible de réduire ce second type de déficit pour le traitement. Dans les pays où le nombre de neurologues est faible, l’Organisation Mondiale de la Santé encourage les prestataires de soins de santé primaires à fournir des soins aux patients atteints d'épilepsie. Pour les personnes vivant dans des zones rurales ou isolées, cela permet de réduire la distance entre le domicile et le centre de santé, augmentant ainsi les chances d’observance du traitement.

La prestation de soins à domicile pour l’épilepsie est une autre possibilité pour réduire ce second type de déficit pour le traitement. Les soins sont alors dispensés régulièrement par des travailleurs qualifiés qui fournissent également des médicaments. Ce modèle de soins garantit l'administration des médicaments à la personne atteinte d’épilepsie et offre la possibilité de vérifier l’observance du traitement et de donner des conseils sur la prise des traitements quotidienne. Ces aspects pourraient améliorer l’observance et donc conduire à un meilleur contrôle des crises.

Ludhiana, Inde
Ludhiana, Inde

Pour évaluer cette idée, un récent essai randomisé a comparé les soins de l’épilepsie à domicile aux soins en établissement de santé sur une période de deux ans à Ludhiana, en Inde. Vingt-quatre groupes géographiques, chacun composé de 10 personnes atteintes d’épilepsie, ont été répartis de manière aléatoire pour recevoir des soins à domicile ou des soins en établissement de santé.

Les chercheurs ont mené une enquête porte-à-porte dans plusieurs quartiers de la ville afin d'identifier des personnes atteintes d’épilepsie. Les personnes identifiées ont été invitées à une évaluation neurologique incluant un EEG et une IRM afin de confirmer le diagnostic d’épilepsie. Elles ont ensuite été invitées à participer à l’étude.

Soins en établissement de santé : Les participants se sont rendus une fois par mois à la consultation de l’hôpital gouvernemental du district où ils étaient examinés par un neurologue. Ils ont reçu des conseils et des informations de routine, ainsi que des médicaments antiépileptiques gratuits.

« Il n’y a pas de neurologue à l’hôpital du district de Ludhiana », explique Gagandeep Singh, chercheur principal de l’étude, neurologue et professeur dans le nord de l’Inde. « En fait, dans la plupart des villes de l’Inde, l’hôpital du district n’a pas de neurologue. Mais notre ministre de la santé a accepté que pour cette étude un neurologue se rende à l’hôpital une fois par semaine pour voir des patients atteints d’épilepsie ».

Soins à domicile : Les participants ont reçu des visites mensuelles d’agents de santé communautaires ou d’infirmiers, qui leur fournissaient gratuitement des médicaments antiépileptiques. Les agents de santé ont également donné des conseils sur la gestion de la stigmatisation en lien avec la maladie, la gestion de l’épilepsie elle-même, les premiers secours et l’importance de l’observance thérapeutique.

Les agents de santé communautaires de Ludhiana sont des travailleurs sociaux de la santé accrédités, la colonne vertébrale du programme de santé communautaire de l’Inde. Ils se concentrent principalement sur la santé reproductive et la vaccination. Les chercheurs de l’étude les ont donc formés à dispenser des antiépileptiques et à fournir des conseils sur l’observance et la prise quotidienne des traitements.

Soins à domicile associés à une meilleure observance et à moins de crises

Au bout de deux ans, « il y a eu beaucoup moins d'arrêts de traitement dans le groupe des soins à domicile », a déclaré le Dr Singh. « Leur observance était significativement meilleure, ainsi que le contrôle des crises ».

Gagandeep Singh
Dr Gagandeep Singh

À la fin de l’essai, 37 % des personnes recevant des soins en établissement de santé avaient quitté l’étude, contre 19 % des personnes recevant des soins à domicile. Les raisons de l’abandon étaient variées.

Les bénéficiaires de soins à domicile étaient 1,8 fois plus susceptibles de prendre leur traitement antiépileptique correctement que les personnes recevant des soins en établissement de santé.

« Les personnes qui doivent venir chercher leurs médicaments, même s’ils sont gratuits, ne viendront pas toujours », a expliqué le Dr Singh. « Venir à l'hôpital peut coûter un peu [pour le transport], mais le plus souvent, les gens perdent une journée de salaire. Et c’est beaucoup pour eux ».

En revanche, lorsque les médicaments sont fournis à domicile, « l’observance est meilleure. Il est beaucoup plus simple pour eux de prendre les médicaments », a-t-il souligné.

Les personnes du groupe des soins à domicile pouvaient toujours se rendre à la clinique de l'hôpital sur les conseils d’un professionnel de santé, et celles du groupe des soins en établissement de santé pouvaient se rendre à l'hôpital en dehors des horaires habituels. Les taux d’hospitalisation étaient à peu près les mêmes dans les deux groupes.

Tirer des leçons de la recherche sur l’hypertension

Le système de santé publique de l’Inde a été créé pour gérer les maladies infectieuses plutôt que les maladies chroniques, explique le Dr Meenakshi Sharma, auteur de l’étude, scientifique et responsable du programme du Conseil indien de la recherche médicale. Selon elle, des études sur le traitement de l’hypertension ont également mis en évidence l’efficacité d’un traitement plus proche du domicile. Ces études ont montré que les taux de contrôle pour des soins plus proches du domicile des patients étaient en moyenne de 60 à 65 %, tandis que les taux de contrôle dans les hôpitaux du district étaient d’environ 35 %.

« Nous devons trouver des moyens de fournir des médicaments plus près du domicile du patient », a-t-elle déclaré. Pour les initiatives de contrôle de l’hypertension, les chercheurs ont calculé les quantités de médicaments nécessaires et se sont limités à deux ou trois types d’antihypertenseurs. « L’achat des médicaments est devenu plus facile et nous avons pu approvisionner les centres de santé primaire, ainsi que les centres de santé et de bien-être », a-t-elle expliqué. Les patients ont également reçu des stocks de 30 jours plutôt que de 7 jours, afin de réduire le nombre de visites.

En ce qui concerne l’épilepsie, « nous devons nous assurer que les médicaments sont disponibles au niveau de nos centres de soins de santé primaires », a-t-elle précisé. Un système de soins, adapté des initiatives de lutte contre l’hypertension, pourrait ressembler à ceci :

  • Les personnes soupçonnées d'être atteintes d’épilepsie sont transférées à l’hôpital du district pour y être diagnostiquées et recevoir un traitement.
  • Une fois leur état stabilisé, elles sont renvoyées au niveau des centres de santé primaires, où elles sont prises en charge et où les médicaments sont délivrés.

Mettre la barre haut pour l’observance

L’observance a été mesurée à l’aide du décompte des comprimés : les personnes dont le décompte s'écartait de plus de deux comprimés étaient considérées comme non observantes.

« C’est ce qui a été fait dans de précédentes études [sur l’épilepsie] », a dit le Dr Singh. « Dans des pathologies telles que l’hypertension, le seuil d’observance est d'environ 80 %. Mais l’épilepsie est une maladie pour laquelle l'oubli d'un seul comprimé constitue un risque. C’est pourquoi nous avons utilisé ce critère assez strict. »

 

Améliorer les soins par l’éducation

« Le traitement doit vraiment se rapprocher du domicile », a souligné le Dr Singh. « L’éducation aux soins primaires en matière d’épilepsie est extrêmement importante ». Il a constaté que pour atteindre les objectifs du Plan d’action mondial intersectoriel sur l'épilepsie (IGAP), de nombreuses régions à faibles ressources devront veiller à ce que le personnel de santé prodiguant les premiers soins soit formé à l’épilepsie.

Selon le Dr Singh, il est également essentiel d'informer les personnes atteintes d’épilepsie sur leur maladie afin de réduire le déficit de traitement. « La plupart des personnes vivant dans des communautés aux ressources limitées considèrent que la médecine ou les soins de santé sont essentiellement destinés aux pathologies aiguës ou extrêmement graves », a-t-il expliqué. « Dans le cas d’une personne atteinte d’épilepsie, lorsque celle-ci a des crises ou un état de mal épileptique, elle se rend à l’hôpital, reçoit un traitement, rentre chez elle, prend son traitement pendant un certain temps, puis l'arrête. Ensuite, après quelques semaines, quelques mois ou quelques années, elle a de nouveau des crises et de nouveau des problèmes ».

Headshot of Dr. Meenakshi Sharma
Dr Meenakshi Sharma

Dans l’étude du Dr Singh, plus de 90 % des participants n’avaient pas terminé leurs études secondaires. « Je pense que la médecine préventive concernant les traitements de l’épilepsie a beaucoup à voir avec le niveau d’éducation», a-t-il indiqué.

Le Dr Sharma est d’accord. « Une fois que nous avons mis en place un centre de santé, nous sommes confrontés au problème suivant : soit le patient ne vient pas à l’hôpital pour prendre le traitement nécessaire ou obtenir le diagnostic, soit il ne continue pas son traitement ».

Les personnes atteintes d’épilepsie ont également tendance à consulter des guérisseurs traditionnels. « Nous avons besoin de spécialistes en sciences sociales pour comprendre ce qui se passe dans la communauté et comment changer les comportements en matière de santé. C’est un grand défi, non seulement pour l’épilepsie, mais pour toutes les maladies non transmissibles », a-t-elle déclaré.

Comment ces résultats peuvent-ils s’appliquer à d’autres régions du monde?

Même en Inde, il existe différents environnements géographiques et socioculturels, a expliqué le Dr Singh. « Il faut trouver la meilleure façon de combler les lacunes en matière de traitement, de réduire la charge de la maladie, et de diminuer la morbidité et la mortalité. Nous devons envisager la question sous un angle plus large, ce qui entraîne probablement une plus grande implication des spécialistes, l’éducation aux premiers soins, la sensibilisation de la communauté... Il y a tant de choses qui doivent être intégrées dans un modèle complet de soins pour l’épilepsie ».

Le Dr Sharma approuve. « Un modèle unique ne conviendra pas. Dans les régions où nous avons des spécialistes, nous devons penser à un modèle en étoile. Pour les zones où il n’y a pas de collège médical ou d’hôpital du district à proximité, nous devons examiner différents types de défis et construire un modèle en conséquence ».

Selon elle, l’étude sur les soins à domicile a permis de mieux comprendre le fonctionnement du système de santé du point de vue du patient. Des messages communautaires tels que « L’épilepsie est traitable, l’observance est cruciale » doivent être lancés et répétés afin d'améliorer la compréhension et la volonté des gens d’entrer et de rester dans le système de santé.

« Je suis sûre que nous serons en mesure de proposer deux ou trois modèles différents qui répondront aux variations régionales de notre pays », a-t-elle affirmé. « Mais le chemin sera long».